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Les os sur la peau
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22 janvier 2012

"Benim yenilgim en büyük zaferimdir"

« Ma défaite est ma plus grande victoire », ce sont les mots d'Ismet Inönü, prononcés le jour où il a perdu le pouvoir à l'issue des premières élections libres en Turquie.
Ce matin, j'ai entendu des bruits de foule dans la rue. Je suis donc allée m'informer sur les événements du jour, et j'ai appris que la communauté franco-turque manifestait « contre la loi de censure arménienne ». Alors parlons-en, de cette loi.
Dès son passage à l'assemblée nationale, cette proposition de loi, qui vise à pénaliser la négation d'un génocide reconnu par la loi, a provoqué un véritable tollé dans la communauté turque de France et surtout une réaction extrême du gouvernement Erdogan. Immédiatement, il a rappelé son ambassadeur à Paris, annoncé l'arrêt de la coopération militaire avec la France, et envisagé des sanctions économiques. Alors déjà, le mec, il a pas bien compris comment fonctionnait l'adoption des lois. Certes, elle a été votée par l'assemblée, mais reste encore le sénat, les amendements éventuels, tout ça tout ça. Donc la Turquie sanctionne l'exécutif pour une loi qu'il n'a pas exécuté.
Et maintenant, allons voir du côté des réactions populaires. Tout d'abord ce mot d'ordre, « contre la loi de censure arménienne », m'a interloquée : on ne proteste pas ici contre une loi mais une proposition de loi, on ne parle pas de censure mais de pénalisation des propos (libre à vous de traiter quelqu'un de sale nègre, tant que vous en assumez les conséquences pénales), et surtout, c'est un texte français, passé devant le parlement français, et pas arménien ! Et tout au long du débat, on a entendu ce genre de propos qui ne tiennent pas la route, et qui n'ont rien à voir avec le schmilblick, pour ne citer que lui le fameux « et les Français alors, ils ont fait quoi en Algérie ? ».
Tout ça est bien triste, pour une simple et bonne raison, qui est que les Turcs, au fond, ont raison de s'opposer à l'adoption de cette loi. Mais y a-t-il vraiment des gens pour croire que c'est ce genre de loi coercitive qui va amener la Turquie et la communauté turque à reconnaître le génocide des Arméniens ? Et ces gens pensent-ils sincèrement que la reconnaissance de ce génocide par le gouvernement turc peut être une fin en soi ? Comme si la décision d'un État pouvait imposer à tout le monde de croire soudainement à ce qu'il dit. La réécriture de l'histoire turque a été un processus long, marqué par le besoin d'occulter des événements traumatisants, et prétendre que les Turcs sont une masse crédule, qui avale tout ce que lui donne le régime de versions officielles, est purement et simplement une insulte à leur intelligence.
Le problème avec cette proposition de loi, ce n'est pas qu'elle utilise le mot génocide ou qu'elle restreint la liberté d'expression. Le problème, c'est qu'elle est inutile. Car finalement, ce à quoi elle tend, ce n'est pas de faire reconnaître que les Arméniens ont bien été victimes d'un génocide, mais à faire prétendre qu'on le reconnaît. Ce qu'il faut vouloir, ce n'est pas un mot de la part d'un gouvernement, mais une véritable remise en question de la part de toute une société, une véritable volonté de comprendre, de se réconcilier. Enfermer les gens dans un rôle de menteur et de coupable, cela ne peut que les pousser à se renfermer encore plus et à refuser toute discussion. D'où les arguments sur la France en Algérie. Et d'ailleurs, si les Turcs pensent que la France y a commis un génocide et qu'ils en parlent dans ce contexte, c'est qu'ils admettent, au fond, que la Turquie a quelque chose à se reprocher.
Pour en revenir à Inönü, il est considéré par la plupart des Turcs comme un héros, le compagnon et successeur d'Atatürk qui a mis en place la démocratie, et ses mots devraient être un exemple pour tous les Turcs qui refusent de se questionner sur leur histoire. Car espérons-le, ils pourront dire un jour que leur plus grand mérite a été de reconnaître leur tort.

A lire aussi : une interview de Taner Akçam, qui n'est pas contre cette loi, et n'a pas tort non plus...

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Commentaires
J
Ah oui ça m'intéresse! J'ai vu le titre sur leur site internet, mais c'était réservé aux abonnés...
A
J'ai lu dans Le Monde un intéressant article sur les intellectuels turcs, partagés sur cette loi. Je te l'apporterai en février. Bises
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